Mme HAURIE - Alfred LEVY - Philippe HAURIE.

 

Sitôt entré dans le hall de la résidence Place Kensington, le visiteur baigne dans une atmosphère feutrée, luxueuse et sécurisante. A  ne pas en douter, on se trouve dans un havre de paix.

            Ce dimanche après-midi, introduit par Philippe, le fils, et Ginette, la belle-fille de Madame Gabrielle Haurie, il m'est donné ce bonheur inespéré de faire un voyage dans le temps, un demi-siècle en arrière : mon professeur de physique, occupée à  faire des réussites, une pile de revues sur l'actualité et le dernier livre d'Ormesson à  portée de la main, lève la tête et me sourit. Non pas qu'elle me reconnaisse, mais parce que son sourire découvrant  de superbes dents, continue de la caractériser.

            Je suis un ancien pensionnaire de l'Ecole nationale professionnelle de l'air, un établissement prestigieux qui, jadis, se nichait sur la colline d'un village du Cap-Matifou, à  une trentaine de kilomètres d'Alger, lorsque cette ville resplendissait de blancheur et du temps où elle était française...

            Son fils lui apprend donc que son visiteur est l'un de ses anciens élèves. Bien évidemment, elle ne peut me replacer en particulier, puisque des milliers de jeunes ont usé leurs jeans sur les bancs de son amphithéâtre... Je me souviens, l'on disait de moi que j'étais son « chouchou », simplement parce qu'elle m'interrogeait avec douceur et que je la regardais avec tendresse et admiration... L'émotion me prend à  la gorge et je lui embrasse pieusement la main, puis l'enlace. Qui l'eût cru,  quand j'avais 15 ans, qu'une telle scène se produirait  cinq décennies plus tard ?...

L'enchantement du souvenir opère, je suis propulsé dans le passé. La photo prise par Ginette est la preuve irréfutable qu'elle ressemble très fort, à 95 ans, à  ce qu'elle était  il y a cinquante ans, contrairement à  nous tous, ses étudiants, qui n'avons plus le même visage. Je ne me rappelle pas l'avoir vue en colère, une seule fois, bien que nous étions par moments de véritables chenapans. Lorsqu'elle répondait à  l'un de nous, c'était de prime abord par un « Plaît-il ? » signifiant ainsi qu'elle était attentive à  ce qu'on lui demanderait.

            Notre visite à  la Résidence dure plus de deux heures et j'entends mon professeur de physique évoquer Mandrillon, le terrible Surveillant Général, et le Directeur Pauchet au gros ventre qui la courtisait, et le professeur d'anglais Lamoine, pas mince du tout, qui l'invitait à  danser le tango lors du bal de fin d'année scolaire. A  cette époque, le personnel féminin de l'ENPA se réduisait à  une demi- douzaine de femmes, mais elle était de très loin la plus jolie, la plus raffinée et la plus discrète...

            C'est ainsi que son fils Philippe m'apprend que sa mère avait émigré au Canada, à  Montréal, avec son époux, également professeur de mathématiques à  l'ENPA, et deux de leurs trois enfants, bien avant moi. Que ne l'avais-je su du vivant de Monsieur Haurie ! Ah, mes amis, quelle émotion, de superposer le visage de Gabrielle Haurie, extraordinairement préservé par le temps, sur celui que je connaissais d'elle dans cet amphithéâtre aux tableaux verts, quand elle dispensait ses cours, en blouse blanche ou peut-être bleue, avec tant de gentillesse et d'élégance...